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Bretons ou Bretonnes de l’année
Lauréats 2023

Mona Ozouf, Bretonne de l’année 2023

Mona Ozouf est la Bretonne de l’année ! À l’occasion des 10es Victoires de la Bretagne, ce mardi soir, à Paris, c’est une figure de la littérature qui a été récompensée. Une femme de nuances, d’engagement pour l’école laïque. Une femme de 92 ans d’une grande modestie.

C’est le décor de son enfance : jusqu’à son entrée au collège à Saint-Brieuc, Mona Ozouf habite l’école maternelle où sa maman, institutrice à Plouha (22), officie. Elle y vit une existence « recluse », entre sa mère et sa grand-mère, après le décès de son père à l’âge de 33 ans. Mona Ozouf, née Sohier, n’a alors que 4 ans.

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Pour elle, pas de sorties, à l’exception des tours de bicyclette dans la cour de l’école, de la messe, le dimanche, et des visites au cimetière. « Je viens de la solitude, de l’ennui, du silence, dans l’atmosphère chagrine de ma mère qui pleurait son mari mort si jeune », expliquait-elle à La Croix en 2018. Elle grandit au milieu des livres, cernée par trois bibliothèques très différentes, « le seul luxe de la maison » : celle de son père, farouche militant de la langue bretonne (« un endroit sacré », précise-t-elle), celle de sa mère et la sienne. « C’était mon refuge », fait-elle remarquer. Et c’est devenu une passion.

« Une historienne et une philosophe vagabonde »

La littérature est au cœur de sa vie, de son œuvre. Pour elle, c’est précieux. Voilà pourquoi, « je ne me reconnais pas beaucoup dans ce que l’on dit de moi, confie-t-elle. On me présente comme une historienne, parce que j’ai écrit des livres d’histoire, et une philosophe, parce que j’en suis agrégée et que je l’ai enseignée. Pourtant, je me sens plutôt comme une historienne et une philosophe vagabonde. Je préfère les fragments aux systèmes, qui me semblent toujours très étouffants. (…) Je ne me confonds avec aucune de ces facettes. Je suis un peu tout à la fois », développe-t-elle.

L’un de ses grands regrets est de ne pas avoir étudié la littérature. Ce qui a été en partie compensé par la proposition de Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur (devenu L’Obs), d’écrire dans les pages du célèbre magazine. « Journaliste, c’est le métier que j’ai le plus apprécié. J’ai beaucoup aimé cette variété d’approches. » De ces plus de 30 ans passés au sein de l’hebdomadaire, est né un ouvrage : « La cause des livres », qui rassemble ses meilleures contributions. « Je le relis avec plaisir. C’est à peu près le seul livre que j’ai écrit qui me rend contente de l’avoir fait », indique-t-elle.

Une enfant de l’école républicaine

Auteure de « L’École, l’Église et la République », Mona Ozouf a eu le parcours exemplaire d’une enfant de l’école républicaine, où l’instruction est gratuite, obligatoire et laïque, pour toutes et tous. Et c’est resté l’un de ses engagements.

Pas un hasard donc si plusieurs établissements scolaires portent désormais son nom. Ce fut le cas dès 2009, à Plouha (notre photo), dans cette école qu’elle a si longtemps fréquentée. Depuis, d’autres ont suivi : à Lannilis, où elle est née, mais aussi à Plougastel-Daoulas, Bannalec, Ploërmel… « On a fait ce choix pour plusieurs raisons », expose Dominique Cap, maire de Plougastel-Daoulas. « D’abord, pour ses origines bretonnes. Puis, pour son engagement pour la laïcité et un féminisme constructif », détaille-t-il.

Toujours curieuse d’apprendre, « Mona Ozouf a passé sa vie dans les écoles », poursuit Françoise Livinec, organisatrice de « L’Été des 13 dimanches » à Huelgoat (29), des rencontres littéraires que l’historienne a fréquentées sans discontinuer dès 2011. « L’un de ses grands combats, c’est l’émancipation par le savoir. C’est l’envie d’apprendre qui fait la différence. Elle est aussi très attachée à l’émancipation des femmes ». Ce qui justifie, selon elle, cette récompense décernée lors des 10es Victoires de la Bretagne, mardi soir.

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« Les distinctions m’intimident »

Mona Ozouf est plus nuancée : « Ça me touche, ça m’honore ». Mais « les distinctions m’intimident. Ça réveille aussi en moi un remords. J’ai été élevée en breton. Tant que mon père a vécu, à la maison, l’usage du français était interdit ». Plus de 80 ans plus tard, sa lecture du breton n’est plus aussi fluide. Elle bute sur certains mots, doit parfois consulter un dictionnaire. « Tout ça entretient chez moi un remords permanent, j’aurais pu mieux faire », insiste cette femme de lettres incroyablement modeste, malgré un parcours exceptionnel.

Les Victoires de la Bretagne